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 AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}

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Ambroise V. Bonham

Ambroise V. Bonham

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MessageSujet: AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}    AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}  I_icon_minitimeMer 29 Juin - 18:56



Ϟ First Step
Information importantes avant le départ

Nom & Prénom : BONHAM, Ambroise, Varlam.
Date & Siècle de naissance :14 Novembre 1984, XXIe siècle.
Âge : 27 ans
Nationalité : Russe, naturalisé Américain.
Orientation sexuelle : Hétérosexuel.
Groupe d’appartenance : Epsilon. je pense que cette catégorie lui conviendrait mieux, dans la mesure où Ambroise est dans l'armée américaine et chargé d'une mission de surveillance des cobayes afin qu'ils ne se perdent pas en route. Pas tout à fait une tête pensante du projet, mais pas non plus un cobaye.




Ϟ Et moi
La face cachée

Pseudo: Styxx
Prenom: Audrey
Âge : 21 ans
Nationalité : Française
Comment as tu connu le forum : Cath' m'en a parlé. Je suis venue prêter main forte pour l'administration.
Est-ce que les pandas domineront le monde? : Oui, mais pas demain, demain il y a bambou. Arrow
Autre chose à rajouter : nope.


Dernière édition par Ambroise V. Bonham le Sam 10 Sep - 8:59, édité 4 fois
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Ambroise V. Bonham

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MessageSujet: Re: AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}    AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}  I_icon_minitimeMer 29 Juin - 19:06

Ϟ Second Step
This is my story


PROLOGUE.


La guerre, ça change un homme, tant celui qui la fait, que celui qui la subit. Ça forge le caractère. Ça endurcit. Et encore. Ce ne sont que de vulgaires euphémismes, si peu représentatifs de la réalité. Et des clichés, surtout, que des clichés. Parce que vous ne savez rien. Parce qu’on ne connaît rien, avant de l’avoir vécu. L’expérience ne se résume pas à ce qu’on lit dans les livres ou à ce que l’on voit à la télévision. L’expérience, c’est-ce que l’on vit. La douleur, le chagrin, le désespoir, parfois. Se retrouver au fond du gouffre, puis s’en sortir. S’en sortir, et reconsidérer le monde sous un œil nouveau. Parce que la fin est en fait un début, une occasion de recommencer sa vie. Mais parfois, une telle opportunité ne se présente jamais, alors la vie suit simplement son cours. On espère. On poursuit un but. Pour certains, ce sera de fonder une famille, d’autres verront leur destin gouvernés par la haine, un ressentiment viscéral et irrémédiable, qui peut parfois pousser au pire, pousser quelqu’un dans ses derniers retranchements, et faire de quelqu’un tout à fait sain d’esprit et droit comme la justice un monstre, un monstre barbare, cruel et sanguinaire, qui se délectera de la mort comme on peut se délecter d’une délicieuse friandise. On pensait qu’après les exactions commises pendant la seconde guerre mondiale, la Terre, notre bien aimée planète quoiqu’un peu périclite, plus rien de tel n’existerait. Dans un sens, cela est vrai. Les procès de Nuremberg ont jugé et condamné les derniers criminels nazis, la nature s’est chargé du reste: on ne peut rien contre la vieillesse et le temps qui passe. Mais ce n’était pas tout. Il y a eu les colonisations, et les guerres d’indépendance qui vont de pair. La Partition de l’Inde, la révolte des indigents en Algérie, le génocide du Rwanda, les massacres Tchétchènes en ex-Yougoslavie. La guerre d’Indochine, du Viet Nam. Mon père aussi a fait la guerre. C’est à croire que c’est une tradition dans la famille. Lui aussi a connu ce qu’étaient les Viêt-Cong, le napalm, la boue, la chaleur tropicale. Et la défaite, amère et cuisante, peu glorieuse sur le palmarès plutôt brillant des Etats Unis, déclaré grand vainqueur des grandes guerres, le Libérateur. Mais cela ne s’est pas fait sans larguer une bombe H sur Nagasaki et Hiroshima. Et puis, plus récemment, il y a eu la première guerre du Golfe. La guerre au Kosovo. Mais aussi, et surtout, la guerre en Afghanistan. Cette guerre, c’est la mienne. Celle qui m’a changé, transformé, fait de moi ce monstre sanguinaire qui en effraie plus d’un. La guerre, ça ronge. La guerre, ça revient vous hanter dans votre sommeil. Les gémissements des civils à l’agonie, les tirs de roquettes, mortiers, et autres armes à feu, les bombardements incessants et les différents raids aériens…Mais à l’époque, j’étais jeune. J’avais des rêves. Je voulais être pilote de chasse. Et j’y suis arrivé, à force de travail et d’acharnement. Je fus l’un des meilleurs de ma promotion, en excellente condition physique -il en fallait pour endurer les entraînements, parfois très drastiques et éprouvants. J’y suis arrivé, oui, mais à quel prix? À présent, je n’étais plus qu’un cadavre, un mort qu’on aurait oublié d’enterrer, une âme purulente et abominable, rien à voir avec celui que j’étais autrefois. La violence, le goût du sang. Les vieilles blessures de guerre qui ne se referment jamais. Et surtout, surtout, le simple fait d’avoir vendu son âme au diable en échange d’un fusil, honteuse transaction…Vous voyez à présent cet homme brisé, meurtri, pantin désarticulé. Et encore. Ce n’est pas ça le pire. Le pire, c’est que je fus mort, en l’espace d’un instant. Réduit à l’inexistence. Puis, comme Jésus sur la croix, au bout du septième jour, j’ai ressuscité.

CHAPITRE 1.

L’enfance. Période bénie où on ne se souciait de rien, si ce n’est à quelle heure on va prendre le goûter, ou savoir à quel jeu on allait bien pouvoir jouer. L’enfance, c’est aussi en avoir marre d’aller à l’école, mais aussi avoir assez de ses camarades geignards et gesticulants. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été timide et réservé, le genre discret et à ne pas faire de vagues, enfant un poil solitaire, tant et si bien qu’on se demandait si la nature ne m’avait pas voulu muet. J’étais identique à une mer d’huile, calme comme le plus flegmatique des anglais. On m’oubliait parfois dans un coin parce qu’on ne m’entendait pas. J’aimais lire, écrire, et dessiner, insatiable rêveur qui s’évadait de ce triste monde sitôt qu’il pouvait. Il fallait dire qu’il y avait une toute une légion de personnes pour nourrir mon imaginaire, à commencer par Vlada, ma mère, pétrie par le folklore russifiant de son pays d’origine. Depuis tout petit, j’étais bercé par les contes et légendes qui prenaient leurs racines au bord de la Volga, perdus quelque part entre Moscou et Saint-Pétersbourg, parfois même jusqu’au plus profond de la Sibérie. Et à chaque fois que ma mère me contait ces histoires, je discernais comme une lueur nostalgique dans ses prunelles métalliques. Moi aussi j’aimerais bien voir la Russie. Connaître le pays des grands Tsars, de la vodka et de la neige éternelle, mais aussi du transsibérien. D’où tu viens, me demandait-on? Je viens de la Russie, je répondais avec fierté. Mais la Russie, je ne m‘en souvenais plus. Je ne m’en souviendrai sans doute jamais. Mais ça me faisait du bien de croire que j‘un jour, je retournerai sur la terre de mes ancêtres. Parce que j’avais besoin de nourrir de nouveaux rêves, de nouvelles ambitions. Et de l’ambition, j’en avais à revendre. Enfants, on se fixait un but dans la vie. Les petites filles veulent être princesses et les garçons pompiers. Grosse caricature, je le reconnais. Mais la réalité est toute autre. Il est intéressant d’entendre les désirs d’avenir des enfants d’aujourd’hui. Bien sûr, il y a toujours des irréductibles, les ambitions changent. Mais de plus souvent, on entend un jour, j’irai faire la guerre ou encore j’irai sauver les autres petits enfants qui meurent de faim. Seulement, on finit par grandir. Et on se rend compte que la guerre, ce n’est pas aussi amusant que dans les jeux vidéos où on peut flinguer du soldat sans conséquences. Et on se rend compte également qu’on ne peut pas sauver l’humanité, qu’elle est déjà condamnée, tant qu’elle sera dominée par l’argent, le pouvoir, et le sexe. Et pourtant, on s’acharne. La télé s’occupe de lobotomiser les pauvres âmes errantes que nous sommes, leur enfonçant allègrement dans le crâne des images afin de traumatiser les gens et les faire s’apitoyer sur les grandes causes de ce monde. On lance des campagnes humanitaires pour sauver les enfants du Darfour ou du Bengladesh, et on se rend compte que l’argent amassé est corrompu, il sert à acheter des armes pour nourrir la guérilla qui sévit là bas, faisant toujours plus de crève la faim, alors que les dirigeants vivent confortablement.

Je ne suis pas un prince. Encore moins un roi. Ni même l’un de ces Tsars qui ont façonné l’histoire de la noble Russie. Mon histoire n’a rien d’extraordinaire, quand bien même elle serait à forte teneur de mensonges et de manipulation. Autant de jeux de pouvoirs qui échappaient à l’enfant que j’étais alors. Les grands de ce monde tirent les ficelles, et nous ne sommes plus que des pions sur leurs vastes échiquiers. Baissez le rideau, le spectacle va commencer. Je ne connais pas mon père biologique. Je sais simplement qu’il est russe, tout comme ma mère. Je ne saurais dire s’il était petit, grand, gros, moche, ou ayant l’étoffe d’un top-model, s’il était un magnat du pétrole ou s’il appartenait à un milieu défavorisé. Je sais juste que je ressemble à ma mère, j’ai les mêmes cheveux bruns et les mêmes prunelles glacées. L’autre, il n’était qu’un inconnu, celui qui a fourni les gamètes nécessaires à ma conception. Maman, de toute manière, n’en parle jamais. C’est un secret qu’elle garde jalousement dans les tréfonds de sa mémoire, une porte qu’elle a verrouillé à clef. Et cette clé, elle l’a jetée, à l’image des habitants de San Francisco dans la chanson de Maxime Le Forestier. Elle a refait sa vie depuis, avec un autre homme. Virgile, à l’époque homme d’affaires influent, était alors à Moscou pour quelques jours. Il séjournait dans un hôtel de luxe, où on servait du caviar en entrée et du champagne hors de prix. Le monde du faste et du bling-bling avait toujours été familier à cet homme, quand bien même il aurait refusé qu’on ne lui déroule le tapis rouge ou encore de se déplacer en jet privé. Virgile se montrait à toutes les soirées mondaines organisées par les grands de ce monde. Il avait hérité de son père un empire, un pilier, paraît-il, dans l’industrie des montres de luxe, qu’il dirigeait d’une main de maître, ayant à sa botte une kyrielle d’employés tous aussi dévoués et doués les uns que les autres. Non, Virgile Bonham n’était pas du genre à s’entourer d’incompétents. Et si tant est qu’il y en avait, ils se retrouvaient rapidement congédiés, et pouvaient dire adieu aux éventuelles lettres de recommandation. En réalité, ils obtenaient tout l’inverse: les patrons se passaient souvent le mot entre eux, tant et si bien que les malheureux finissaient au chômage. Que voulez-vous, le monde des affaires se montrait parfois impitoyable.

Ce jour là, Virgile Bonham était sur le point de conclure le plus gros contrat de sa carrière, impliquant des sommes à six chiffres. Cela peut paraître peu au regard des sommes astronomiques qui sont déboursées pour renflouer la Grèce, mais à l’époque, et surtout sous le joug du régime communiste, la où seuls les apparatchiks savaient tirer leurs épingles du jeu, de telles sommes donnaient le tournis. Il fallait voir la misère à chaque coin de rue, les salaires très bas pour le comprendre. On avait cherché à abolir le système des classes, système contraire aux idées de Marx qui défendait la dictature du prolétariat, dans les faits, il en allait autrement. Il y avait toujours une poignée de privilégiés, souvent rattachés au gouvernement de façon plus ou moins directe, qui avait tout. Finalement, hier n’est pas si différent d’aujourd’hui. Le système capitaliste, en ces termes, ne vaudrait pas mieux que le système communiste. La Russie, c’est Staline, les goulags. La population aux abois. La course à l’armement. Virgile ne comprenait pas grand-chose à ce qui se tramait entre les deux grands de ce monde, simplement, il savait qu’il n’était pas bon d’être un américain en Russie. Peu importe, se disait-il, il n’était là que pour quelques jours. Une petite semaine, le temps de négocier et signer son contrat. Et cette semaine là, il bénéficiera d’une protection particulière. Certains gardes du corps -russes- avaient été postés devant sa chambre d’hôtel, pour lui garantir un séjour sans incidents fâcheux. Mais Bonham n’était pas non plus inconscient. Il avait emmené avec lui deux de ses gardes du corps. On n’était jamais sûrs de rien, d’ici à ce qu’on lui serve de la nourriture empoisonnée ou qu’on ne tente de l’assassiner dans son sommeil, il n’y avait pas loin. Aussi, ces gardes du corps le suivaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Lorsqu’il allait dîner au restaurant, les deux gorilles se cachaient derrière un journal pour se fondre dans la masse. Prendre un verre dans un bar lui était déconseillé, la menace de l’empoisonnement planait toujours. On ne sait jamais ce qui peut se passer dans la tête de ces foutus russes, tellement empressés à monter des complots.

Le soir, Virgile Bonham rentra à l’hôtel, où il séjournait. La décoration était faite à la mode communiste, comme il fallait s’y attendre. Veste sur l’épaule, il remontait le couloir, foulant le tapis brodé d’arabesques étranges. La faucille était présente, comme de vieilles armoiries, indiquant la présence continue du régime, ultime rappel à l’ordre: on vous surveille. Mais Virgile ne s’en inquiéta pas. Il alla réclamer ses clés à la réceptionniste, qui s’empressa de le mener à la suite qu’il avait demandée. Même en voyage, Virgile Bonham conservait des goûts de luxe. L’homme d’affaires remercia chaleureusement la jeune femme, puis s’en retira dans ses appartements. Il posa son attaché-case sur le lit pas encore défait, puis il s’approcha de la fenêtre, contemplant une partie de la ville qui s’étendait à ses pieds. Il desserra sa cravate, puis défit les premiers boutons de sa chemise. L’homme se frotta le crâne. Virgile était un homme guindé, qui transpirait l’arrogance et la suffisance. Il était chauve, et portait des lunettes carrées. Mais pas de barbe, il détestait cela. Il apparaissait toujours soigné, toujours tiré à quatre épingles, l’apparence était primordiale dans le monde où il vivait. Il était hors de question qu’il paraisse quelque peu négligé, d’aucune façon que ce soit. Il s’approcha du bar. Une bouteille d’eau minérale y était posée. Virgile s’en empara. Puis, se rappelant des consignes de sécurité, il scruta attentivement le bouchon, comme pour vérifier s’il était toujours scellé. Dans le doute, l’homme sortit une flasque de whisky de son attaché-case et en but une lampée. Il ferma un instant les yeux, laissant les effluves d’alcool l’enivrer légèrement. Il entendit toquer à la porte. Il alla ouvrir. C’est ainsi qu’il fit la rencontre de Vlada Herzinova.

x


Les mois étaient passés. Vlada l’avait attendu. Parfois longtemps. Elle pleurait, souvent. Elle regardait par la fenêtre, dans l’espoir de le voir sortir d’une limousine. Ce manège dura une bonne année. Elle perdait espoir, à mesure que le temps avancé. Puis, un matin, il est venu nous chercher. Il nous avait dit de ne rien emmener. Nous partions pour l’Amérique, sa patrie. Je me souviens d’avoir regardé ma mère, perplexe. Que pouvions nous emmener, nous n’avions rien. Mais Maman ne s’est pas plus posée de questions. « Где поедем 1?» je demande, levant mes yeux clairs vers ma mère. Vlada m’adressa un sourire tendre, et ébouriffa mes cheveux. «На Америка 2» me répond-elle. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu l’espoir briller au fond de son regard. L’Amérique, pourquoi me parlait-elle de l’Amérique? Pourquoi là bas? C’était cet homme, n’est-ce pas? Mais je ne demande rien. Je ne demandais jamais rien. Je me taisais. Et j’acceptais.Pourtant, malgré ces quelques explications pourtant des plus abstraites, je ne comprenais pas pourquoi j’étais là, ni même pourquoi il y avait tous ces gens…Probablement quelques rescapés du régime communiste, qui tentaient de fuir le territoire et demander l’asile chez l’ennemi américain, là où personne ne pourrait venir les chercher. Mais moi, du haut de mes sept ans, j’étais bien trop jeune pour comprendre ce qui se passait autour de moi. Je me souviens juste d’avoir ressenti une secousse, puis de m’être serré contre ma mère, qui continuait à me caresser les cheveux et à me murmurer des mots tendres… « Что ета3? » je m’étais exclamé, m’accrochant à Vlada comme à un rafiot de fortune, comme si je craignais que les trop importantes secousses ne me jettent définitivement par-dessus bord. «ничего4» me répondit-elle. Elle avait peur elle aussi. Mais elle ne disait rien, contrairement aux autres qui gémissaient, sans doute trop ballotés. Elle était stoïque, ma mère. Digne, et fière, même dans la misère, même si aux yeux des plus riches elle exerçait un métier aussi ingrat et mal payé que femme de chambre. Il était inutile de demander dans combien de temps on allait arriver. Personne ne savait. Personne ne savait non plus si on allait arriver vivants. Les risques liés à l’immigration clandestine, je suppose. On avait pris un aller, sans retour possible. C’était quitte ou double. Plus tard, Maman me racontait que nous sommes arrivés aux Etats-Unis à bord d’un container, et que nous avions passé plusieurs jours sans manger, ni même boire. Nous avions été découverts par les autorités américaines, affamés et assoiffés, dans un piteux état. La plupart d’entre nous n’étions même plus capables de marcher, ni même de parler. Quand le douanier m’a tendu une bouteille d’eau minérale, je me fichais bien qu’elle soit américaine et potentiellement empoisonnée, l’important était de boire, d’étancher ma soif. J’avais déjà bu la moitié de la bouteille quand je m’aperçus, non sans culpabilité, que ma mère n’y avait pas encore goûté. Tout naturellement, je la lui tendis. Mais elle déclina mon offre, parce qu’elle avait eu à boire elle aussi. Nous avons été hospitalisés quinze jours durant, le temps de nous soigner et de nous remplumer -ma mère avait eu la tuberculose, probablement transmise par un autre passager. Puis, il se posa bientôt la question de notre reconduite à la frontière. De toute évidence, sans permis de séjour, nous ne pouvions pas rester ici, nous étions obligés de retourner en Russie. Par un heureux concours de circonstances, l’un des douaniers connaissait Virgile Bonham, puisqu’il était son frère. Au départ, personne ne comprenait pourquoi Vlada s’obstinait à appeler un certain Virgile, qui ne venait pas. Mais cet homme, aussi bon qu’il était honnête, permit les retrouvailles avec cet américain qui devint rapidement mon beau-père. Je ne connaissais toujours pas mon père biologique, mais Virgile a été exemplaire. Virgile et Vlada se sont mariés peu de temps après notre arrivée, et nous offrit un foyer. Le sien. Il nous fallut des mois entiers pour se remettre de ce voyage plutôt pénible, pendant lequel j’avais hérité d’une légère claustrophobie. Mais peu importait, dans le fond, puisqu’une nouvelle vie commençait.


1- Où allons-nous?
2- En amérique.
3-Qu'est-ce que c'est?
4-Rien.




Dernière édition par Ambroise V. Bonham le Ven 29 Juil - 20:13, édité 7 fois
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Ambroise V. Bonham

Ambroise V. Bonham

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MessageSujet: Re: AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}    AMBROISE •• Think i'll loose my mind if i don't find something to pacify. {end}  I_icon_minitimeDim 10 Juil - 9:03

CHAPITRE 2.

Le communisme est mort, annonçait-on dans les journaux, à la télévision. On annonçait, en ce 26 décembre 1991 la dissolution de l’Union Soviétique. Gorbatchev n’avait pas su résister à l’assaut mené par l’opposition. Pour le capitalisme américain, il s’agissait d’une nouvelle victoire. Des années durant, le monde avait tremblé devant la menace nucléaire, et désormais, cette menace n’était plus fondée. Pour les russes restés là bas, le réveil avait été difficile. Sous le joug communiste, l’état avait été enclavé, n’acceptant que trop peu de choses du monde extérieur. Ils ne savaient pas ce qu’était McDonalds ou Coca-Cola, pourtant emblèmes de la culture américaine. Nous avions quitté la Russie un an auparavant, avant que la situation ne se dégrade là bas: c’est à croire que nous avions bien fait. Virgile se saisit de la télécommande et augmenta le son. Les chaînes d’informations diffusaient continuellement la même chose. On voyait les grands du monde soviétique annoncer officiellement la dissolution de ce qu’on appellerait désormais ex-URSS. Je jetai un regard en biais à Vlada, qui faisait semblant de s’affairer dans la cuisine. Tout ce que nous avions pu connaître jusqu’alors était mort, mort et enterré, cela faisait partie d’un passé qui était désormais révolu. Le regrettait-elle? Honnêtement, j’en doutais. Parce que Maman ne parlait jamais de la Russie, comme si évoquer notre pays natal était un sujet tabou, le mot à proscrire. Elle voulait oublier notre misérable existence, pour se concentrer sur sa nouvelle, était-ce un crime? Ses souvenirs à elle seront intacts encore longtemps. Les miens s’effaceront peu à peu, subissant les affres du temps qui passe. L’oubli ira couvrir d’un voile pudique ma mémoire, pour faire un peu plus de place au présent. Et la Russie sera à tout jamais rattachée à ce que l’on appellera petite enfance. J’ai eu ouï dire qu’on oubliait des pans entiers de son existence. L’enfance en faisait partie. Avant un certain âge, les souvenirs restaient flous, pour ne pas dire inexistants. Les photos étaient là pour nous rafraîchir la mémoire, mais tout demeurait vague. C’est comme si une gomme géante avait tout effacé. Et l’oubli me faisait peur. J’imaginais volontiers l’avenir comme un gigantesque vortex, qui aspirerait tout sur son passage. On continuerait à chuter, chuter, puis, soudain, ça s’arrête. C’est la fin. Et on meurt. Tout ce qui a existé avec nous s’écroule, il n’en reste plus rien, pas même quelques particules de poussière. C’est triste, mais c’est comme ça.

Mais étrangement, je me souviens de ces quelques instants, comme si c’était hier. Sûrement parce qu’après cette date, le monde allait changer. L’Histoire, avec un grand H, celle que l’Humanité façonne prenait un nouveau tournant. Je me souvenais du soudain intérêt de Virgile pour la télévision, et de l’air pincé de Maman, qui resta sans rien faire. Son inaction finit par l’agacer. Elle se leva du fauteuil dans lequel elle s’était lovée, pour s’emparer de la télécommande et d’éteindre l’appareil litigieux, sans préavis. Virgile protesta. Maman le pressa pour qu’il se lève. « Il est l’heure de passer à table de toute façon. » avait-elle ajouté, catégorique. Virgile n’eut pas d’autre choix qu’obtempérer. Il savait que les colères de sa toute nouvelle épouse pouvaient être particulièrement redoutables. Alors, il avait intérêt à agir. Et vite. Parfois, j’avais l’impression que c’était Maman qui portait la culotte dans leur couple. Cela n’a jamais été avéré. Je m’étais penché sur la question pendant un long moment, puis j’avais fini par m’en désintéresser, ne la jugeant pas très importante. Le repas se déroula dans un silence de plomb. On n’entendait que le crissement des couverts sur la porcelaine des assiettes. À moins que ça ne soit du synthétique. Je ne savais pas vraiment. Mais c’était une chance de pouvoir manger à sa faim. Là bas, tout coûtait trop cher. Il fallait parfois magouiller pour obtenir quelque chose. Et magouiller était dangereux. Parce qu’on pouvait être dénoncés. Le régime communiste avait laissé de profondes stigmates en nous, ne serait-ce que dans notre comportement. Bien que nous n’étions plus en Russie, nous nous étonnions encore de certaines choses. Comme par exemple, d’avoir à manger matin, midi, et soir. C’était habituel par ici. J’avais connu la faim. Pas la faim que l’on peut avoir avant le dîner, ou qui nous fait casser la crôute à quatre heures. Non, c’était la Faim, avec un F majuscule, celle qui tiraillait continuellement l’estomac, celle qui affaiblissait et qui faisait maigrir à vue d’œil. Maman avait certes un travail, mais son salaire de misère servait tout juste pour payer le loyer hors de prix de notre petit appartement miteux. Nous avions un toit, mais pas à manger. Alors, on se serrait la ceinture, tout était rationné, jamais nous n’étions rassasiés. Était-ce cette vie misérable que Vlada voulait oublier? Étaient-ce ces souvenirs cuisants qui la faisaient baisser les yeux à chaque fois que la Russie était évoquée, que ce soit dans une émission de télévision ou au détour d’une conversation. Putain de communisme, putain de dictature. Nous étions trop cabossés, trop cassés pour pouvoir vivre autrement, mais avions-nous seulement le choix, à part s’adapter et se taire?

Il fut bientôt l’heure de débarrasser la table. Maman semblait s’être calmée. Virgile lisait son journal. Dieu merci, l’extinction du bloc communiste n’était pas encore à la une des journaux. Mais il y avait fort à parier pour que ce soit le cas pour l’édition de demain matin. Je me promis en mon for intérieur de chiper le journal à Virgile une fois qu’il aura fini de le lire, pour le planquer de façon à ce que Maman ne puisse pas le voir. Parce que je ne voulais pas qu’elle soit triste. Mains dans les poches, je trottinai jusqu’à la cuisine, fier de ma nouvelle résolution. Maman était en train de faire la vaisselle, et son joli sourire s’était fané. Vite, j’entourai les jambes de ma mère de mes bras, pour me blottir tout contre elle. Elle s’agita, elle n’aimait pas ça je crois. « Pas maintenant Ambroise, je suis occupée. » Ambroise. Ça aussi, ça avait changé. Changer de pays, changer d’habitudes, changer de nom aussi. Parce qu’avant, c’était Varlam, et Varlam, ce n’était pas assez américain. Ambroise, c’était juste bien, on ne savait pas trop de quelle nationalité c’était, peut-être était-ce français, mais en tout cas, c’était neutre. Personne, en entendant ce nom, surtout accolé à celui de mon nouveau nom de famille, ne pouvait se douter que j’étais un Ruskof, comme ils disaient par ici. Déçu, je me mis à tourner en rond dans la cuisine. Je m’impatientais, et je ne savais même pas pourquoi. J’attendais le dessert. Un sourire de sa part. N’importe quoi, mais il fallait que je m’assure qu’elle allait bien. Tiens, en attendant qu’elle finisse, j’allais cueillir quelques fleurs dans le jardin, ou lui faire un beau dessin. Ça fait toujours plaisir un beau dessin, non? Mais au bout d’un moment, ils finissaient par s’accumuler. Il y en avait beaucoup trop, et on ne savait pas quoi en faire. Alors, ils les jetaient, ne gardant que les plus beaux. Et quand on voit un dessin fait avec amour dans la poubelle de la cuisine, ça fait mal quand on a six ans.

x

Je ne comprenais pas pourquoi toute cette agitation. Tout le monde semblait sur le qui-vive, en attente d’un certain évènement qui allait faire voler en éclats nos petites habitudes, bouleverser des pans entiers de notre existence. J’exagérais peut-être, mais je ne comprenais pas vraiment ce qui était en train de se passer. En fait, seule Maman s’agitait, comme d’habitude. Elle rajustait le col de ma chemise, s’emparait du plumeau pour faire les poussières sur le bar, et revenait rajuster mon col, ayant sans doute oublié qu’elle venait de me l’arranger à peine cinq minutes plus tôt. Et moi, bougre docile, je me laissais faire, sans protester. Bien qu’un millier de questions me brûlaient le bout de la langue, mettant ma curiosité insatiable à rude épreuve. « Pourquoi tu as sorti ma plus belle chemise? » je finis par demander, légèrement boudeur. C’est vrai, quoi. Aujourd’hui, c’est dimanche. Le jour où on restait volontiers en pyjama jusqu’à plus d’heure, parce que ça ne dérangeait personne. Maman vérifia si mes boutons étaient bien agrafés, il aurait été fâcheux d’avoir boutonné le lundi avec le vendredi. Et moi, je continuais à bouder, parce que je ne reconnaissais plus ma mère. Elle qui était si simple jadis, devenait sophistiquée et superficielle, soucieuse des apparences. Cela se voyait qu’elle avait changé de style de vie. « Maman, je t’ai posé une question! » je réitérai, contrarié. Je détestais ne pas savoir. Et je n’aimais pas non plus les surprises. Je préférais savoir à quoi m’attendre. Vlada passa une main dans ses cheveux, légèrement absente. Elle cligna des paupières, puis sembla renouer contact avec la dure réalité. « Oh, bien sûr mon chéri. La fille de la voisine vient goûter à la maison cet après-midi. Je compte sur toi pour te comporter comme un vrai gentleman, d’accord? » Je la regardai, complètement atterré. Quoi? UNE FILLE? Elle voulait vraiment que je joue avec une fille? Mais! Je n’allais pas pouvoir lui prêter mon avion, ni même mon boomerang. Parce qu’elle ne voudra pas salir ses chaussures, ni froisser sa belle robe. Puis même. Elle voudra me faire jouer à la poupée. Et il n’en était pas question.

Je tirai sur la jupe de ma mère, désireux de faire entendre mon point de vue. J’étais peut-être jeune, mais je savais ce que je voulais. Surtout, ce que je ne voulais pas. Virgile disait souvent en riant ce gamin, il ira loin! J’étais un enfant plein d’énergie, et surtout, plein de bêtises. Je tombais, et je me relevais, comme si de rien n’était, et je repartais de plus belle. Maman était épuisée de toujours devoir faire la police. Elle ne se souvenait pas qu’en Russie, j’eus été si agité. Dans son souvenir, j’étais même plutôt calme. Inquiète, Vlada m’avait alors porté au médecin, afin de comprendre à quoi était dû ce brusque changement. Tout naturellement, le docteur avait dit qu’un traumatisme avait ouvert les vannes, me rendant hyperactif, survolté, incapable de tenir en place. En creusant un peu plus, ils ont compris que ce traumatisme avait été mon arrivée en Amérique. Le fait d’avoir été un passager clandestin. Avoir voyagé à bord d’un container, et avoir failli mourir de faim. Celui que j’avais été avant était comme en berne, en veille, en ses propres termes. Il reviendra sans doute avec le temps. Il fallait simplement attendre, que le traumatisme se résorbe, que l’équilibre revienne. Et attendre impliquait me laisser vivre ma vie, ne pas trop me brider, sans être pour autant permissif: il fallait tout de même que je sache où étaient mes limites. C’était très important, pour que je devienne un individu équilibré. « Mais Maman! » je protestai avec énergie, m’accrochant désespérément à sa jupe. « Tu ne peux pas me faire ça! Tu te rends compte, c’est une fille! Et les filles, c’est nul! Elle va pas vouloir jouer au foot. Je ne pourrai pas lui prêter mon avion, ni même aller me rouler dans l’herbe parce qu’elle va avoir peur de salir sa robe! Pire, elle va vouloir que je joue à la poupée! T’as pas le droit! » Vlada soupira, habituée à ces crises que je lui faisais, qui à son grand dam étaient régulières. Elle savait qu’en général, il ne fallait pas trop m’écouter, que j’allais changer d’avis après avoir essayé. Je regardai un bref instant au travers de la fenêtre, puis je resserrai mon emprise autour de ses jambes. « Tu ne peux pas inviter le fils du voisin d’en face, plutôt? C’est vrai quoi, il est toujours malheureux, c’est triste un enfant qui ne sourit jamais, tu ne penses pas? Et au moins, je pourrai jouer au foot, je suis sûr qu’il ne rêve que de ça, d’avoir un copain pour pouvoir jouer au foot! Puis je suis sûr que tu n’aimes pas que je joue au foot, parce que ce sont les ricains qui l’ont inventé! » Je n’étais pas sûr de cette dernière affirmation. Mais elle était sortie toute seule, sans même que je n’ai pu la retenir. C’est fou la quantité de choses stupides que l’on pouvait dire étant enfants. Mais en tout cas, ma tirade avait fait mouche. Vlada avait pincé les lèvres, et elle tira d’un coup sec sur le col de ma chemise, à défaut d’avoir mon oreille à sa portée. « ça suffit Ambroise! Tu feras ce que je t’ai demandé. Être gentil avec elle, même si elle ne joue pas au football, ce n’est quand même pas le bout du monde? Et tu verras, Nadège est très gentille. » Je croisai les bras, plus boudeur que jamais. D’emblée, je n’aimais pas cette Nadège. Parce qu’elle ne jouait pas au foot. Parce que c’était une fille. Et surtout, parce qu’elle avait réussi à faire en sorte que ma maman se fâche contre moi. Et les gens gentils inspiraient TOUJOURS la méfiance. Tiens, même si elle me le demandait, je ne passerai pas une miette de mon goûter. Elle pouvait bien penser que j’étais un sale gosse, que ça reviendrait au même. « Et en plus, elle parle anglais! Comment je vais faire pour parler avec elle, moi?  » je lançai, alors que ma mère n’écoutait déjà plus. Mais c’est nul, quoi. Elle espérait quoi, ma mère? Pourtant, c’est à croire qu’elle avait encore vu juste. Il s’agissait tout simplement des prémisses d’une amitié vieille comme le monde.

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J’aurais voulu avoir un petit frère, pour toutes les raisons précédemment évoquées. Je me voyais déjà lui apprendre à plier des avions en papier, ou à jouer au foot. J’aurais partagé mes petites voitures, et j’aurais été content. Parce qu’un frère, c’est moins chiant qu’une sœur. Puis j’avais déjà Nadège, alors je n’avais pas besoin d’une autre fille dans mon entourage. Ouais, un petit frère, ce serait parfait. Il apparut alors que Dieu, ou qui soit-il avait pris trop à cœur mes prières. C’était un soir d’été, et je surpris alors une conversation qui aurait dû rester entre mes parents. « Tu en es sûre? » je me tassai contre le mur en reconnaissant la voix de Virgile. Il s’agissait alors de ne pas se faire repérer. Pour ne pas laisser croire que j’écoutais aux portes. D’ailleurs, je me rendais dans ma chambre, qui était juste en face. « Oui, j’en suis certaine. Le test est positif. Et je suis enceinte. » répondit Vlada, la voix tremblante. Pleurait-elle? Je l’entendis se moucher. Alors j’en déduisis que oui. Elle n’était donc pas contente d’attendre un bébé? J’appuyai la tête contre le mur, le souffle court. Je crois bien que j’étais triste, moi aussi. Autant par empathie, qu’à l’idée de savoir que j’allais partager ma maison, ma vie, mes jouets, mes parents, avec un autre enfant. Un enfant qui allait accaparer toute l’attention de mes parents, et à cause de qui j’allais être laissé pour compte. J’avais entendu parler les autres enfants à l’école, qui étaient dans la même situation. Et à en croire leurs dires, c’était plutôt atroce. L’enfant qui braillait, qui réclamait tout le temps de l’attention. Et surtout, les jouets qui traînaient partout, dans le salon, dans la cuisine, dans la salle de bains. Maman qui pique une crise parce qu’elle doit tout ranger. Changer les couches, donner à manger parfois en pleine nuit. Atroce. Particulièrement atroce. Et tout à coup, je n’avais plus vraiment envie d’avoir un petit frère. Parce que les bébés, c’est chiant. Un bébé, ce n’est pas intéressant parce que ça ne sait pas parler, et ça sait encore moins jouer au foot. Puis si c’était une fille, imaginez l’horreur! J’allais devoir cohabiter avec les poupées et les baigneurs…Et les baigneurs, c’est moche, et parfois ça pleure comme un vrai bébé. Je m’imaginais déjà m’exiler au Pôle Nord, avec quelques pingouins pour seuls compagnons. Je vivrai dans un igloo, je pêcherai sous la glace, et j’apprendrai à parler esquimau. Mais vite, je dois partir. Je les entendais déjà se lever, et bientôt, j’allais être découvert. Il ne fallait pas qu’on me surprenne en train d’écouter aux portes.

Je ruminais ces perspectives d’avenir, si je puis dire ainsi, à longueur de temps. Apparemment, ça m’avait calmé. Mais j’étais tellement plus morose, tellement plus aigre. Je m’apprêtais à dire adieu à tout ce que j’avais pu connaître. À ce que mes parents m’aiment moins. À supporter cette présence continuellement. Les petits frères, c’était bien chez les autres. Je me faufilai en catimini dans la cuisine, pour aller chercher quelque chose dans l’armoire. Peu importait ce que j’allais y trouver, l’important était de me constituer des réserves afin de préparer mon expédition au Pôle Nord. Mon baluchon était déjà prêt, je n’avais plus qu’à y ajouter quelques vivres. J’étais vêtu d’une doudoune et d’une paire de bottes spéciales grand-froid. J’étais emmitouflé dans une écharpe appartenant à Vlada, encore imprégnée de son parfum. Au moins, elle serait encore un peu là , tout près de lui. De toute manière, elle allait tellement être accaparée par le nouveau-né, qu’elle allait jusqu’à oublier mon existence. Oublier son gamin hyperactif et dissipé, je m’enfoutiste et turbulent. Ah, pour sûr que le calme allait revenir chez les Bonham…Calme qui allait être rapidement rompu par les pleurs du bébé. On ne peut pas tout avoir, non plus. Je sursautai en entendant les pas de ma mère résonner dans la cuisine. Je me retournai vivement, cachant ce que j’avais réussi à dérober derrière mon dos. « Je peux savoir ce que tu fais, surtout dans cet accoutrement? » me demanda-t-elle, sourcils froncés. Il n’y avait aucune animosité dans sa voix, mais elle avait les yeux rougis. Haha! J’avais raison quand je disais qu’elle était en train de pleurer. « Regarde Maman »! Je m’exclamai, en brandissant un paquet de biscuits à demi entamé. « Je prépare une expédition au Pôle Nord! Et j’ai besoin de vivres, parce que sinon je vais mourir parce qu’il fait trop froid! » Vlada s’appuya contre le chambranle de la porte. Furtivement, je risquai un regard jusque son ventre, qui ne paraissait pas bien rebondi pour l’instant. Pour l’instant, parce que la petite graine allait pousser et prendre toute la place. Machinalement, elle posa une main contre son ventre. Pouvait-elle déjà sentir le bébé bouger? Maman laissa échapper un profond soupir. « Et pourquoi tu veux partir au Pôle Nord? Il serait un peu temps de revenir sur terre, Ambroise. Tu m’inquiètes. » Une moue contrariée vint tordre mes lèvres, alors que mes yeux gris se plissaient. « Je veux aller au Pôle Nord parce que bientôt, il y aura un bébé à la maison. Et il lui faut de la place. Alors je m’en vais. Et puis c’est bien le Pôle Nord, parce qu’il y a des ours, des phoques, puis des esquimaux. Je veux devenir le plus grand explorateur de tous les temps. Cousteau n’a qu’à bien se tenir. » Et, comme pour illustrer mes dires, je fis le V de la victoire, mes mouvements étaient cependant quelque peu entravés par mes multiples couches de vêtements, qui me boudinaient comme il se doit. L’avantage, avec l’enfance, c’est qu’on pouvait inventer des tas d’histoires et en être excusés. Nous étions encore naïfs, nous avions encore tant de choses à découvrir et à apprendre, et le meilleur moyen d’y parvenir était sans doute de partir à bord d’un vaisseau pirate et de faire le tour du monde…ou alors à bord d’une montgolfière. Tiens, c’était chouette une montgolfière, pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt? Faire le tour du monde en ballon, ça devait être géant! Et, porté par mon enthousiasme, je n’avais pas vu Vlada blêmir. Porter la main à ses lèvres, et se crisper un peu plus. « Comment tu as su? » Je m’aperçus alors que j’avais fait une gaffe. Parce que je n’étais pas censé savoir que Maman attendait un bébé. Et j’allais devoir avouer que j’écoutais aux portes. Enfin, c’était involontaire, j’allais à ma chambre. « Je vous ai entendus parler, avec Virgile. » je finis par avouer, tête baissée. Maman soupira encore. Combien de fois allait-elle soupirer ainsi? Je me mordillai la lèvre inférieure, et lui tendis mon piteux paquet de biscuits, en gage de paix. Virgile…je m’obstinais à ne pas vouloir l’appeler Papa, bien qu’il en assurait le rôle à la perfection. Sans doute était-ce parce que je m’étais fait à l’idée que je ne connaîtrai jamais mon vrai père. Normalement, la question qui devait s’ensuivre était: et, tu étais en train d’écouter aux portes? mais elle ne vint pas. À la place, ce fut: «  Et donc, tu t’en vas, parce que j’attends un bébé? » Sans m’en rendre compte, je fis tomber le paquet de biscuits. Bouche bée, l’air hagard, je regardais ma mère, ne sachant pas que faire. Dans ma tête, ça paraissait logique. Mais les enfants avaient une logique qui défiait l’imagination. « Ben oui. » je répondis, d’une toute petite voix. « j’me suis dit que si j’allais avoir un petit frère ou une petite sœur, vous allez moins m’aimer. Et parce qu’il va accaparer toute votre attention, vous allez moins vous préoccuper de moi. Alors, j’me suis dit que je pouvais tout aussi bien partir, que ça serait pareil. Vous ne m’aimeriez plus, alors pourquoi je resterais? » Je me sentais honteux de dire tout ça. J’avais baissé la tête. Et je n’avais pas vu la moue navrée que ma mère avait esquissée. Elle s’est rapprochée de moi. Elle s’était abaissée à ma hauteur. Et elle m’avait regardé droit dans les yeux. Pour m’expliquer alors que ce n’est pas parce que j’allais avoir un petit frère ou une petite sœur qu’ils allaient moins m’aimer, bien au contraire. L’amour qu’une mère portait à son enfant était indivisible. À chaque naissance, c’était un nouvel amour qui se créait. Et il n’y en avait pas un plus fort que l’autre. Pas de préférence, pas de favoritisme. Un bébé accaparait toute l’attention parce qu’il ne savait rien faire tout seul. Elle me raconta aussi que quand j’étais bébé, elle m’avait consacré tout son temps. Et elle s’était battue pour que j’aie à manger le plus souvent possible, pour que j’aille bien. Parce qu’il n’y avait rien de plus insupportable pour une mère que de voir son enfant souffrir. Alors, j’ai bien voulu la croire, même si j’étais toujours amer suite à l’annonce de cette nouvelle. Parce que ma vie, encore une fois, allait changer. La vie, un éternel recommencement.


Dernière édition par Ambroise V. Bonham le Dim 28 Aoû - 17:47, édité 6 fois
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CHAPITRE 3.

Le temps passe. Et on finit par grandir. Quitter le monde acidulé et tendrement ironique de l’enfance, pour se jeter dans le gouffre sans fond qu’est l’adolescence. L’adolescence et sa crise identitaire, l’adolescence et ses troubles, l’adolescence et la négation de ce que l’on est, l’adolescence et le refus de soi. Pourtant, il fallait grandir, devenir un homme. Cela impliquait de ne plus aller pleurer dans les jupes de sa mère en cas de problème, ou piquer des crises de colère lorsque quelque chose nous était refusé. Il fallait apprendre à rester digne, à se comporter comme de grandes personnes alors que la voix commençait tout juste à muer. Mais l’adolescence ne signait pas la fin pure et simple d’une période, c’était une transition, une transition bête à pleurer. On se teste, on se cherche encore, on fait des expériences. Parfois des mauvaises. On fume sa première cigarette pour faire comme les copains, pour jouer au grand. On se prend sa première cuite. On fume un joint parce qu’on trouve ça bien de se faire sauter un peu les neurones, juste pour planer quelques heures. On vit sa vie sur les chapeaux de roues. On fonce à toute allure, puis parfois, on se prend le mur. On se disloque sous la violence du choc, mais on se remet presque aussitôt, et on repart de plus belle. L’adolescence, c’est aussi les premiers baisers, les premières fois. Les potes, les filles. D’abord les potes, ne faisons pas tout dans le désordre. Parce quand on est en plein dans l’âge con, la simple idée d’embrasser une fille avec la langue paraît répugnant, puis on se laisse prendre au jeu. Ça nous émoustille, puis on se sent honteux, au point de se planquer derrière un mur pourri par les tags pour le faire. La fille en question s’appelait Nancy Forbes, et nous avions treize ans. Nancy, c’était la fille dont on n’entendait jamais et qui se fondait toujours dans la masse. Elle était jolie, mais affreuse de banalité. Elle portait des jupes plissées, une frange et des cheveux bien lisses. Mais Nancy et moi, ça ne dura pas longtemps, juste quelques minutes en réalité, le temps que dura notre baiser. Le premier. Celui à la fois magique, et tout honteux. Parce qu’on se sent con de ne pas savoir comment faire, parce que c’est nouveau, parce que les sensations sont inconnues. Et, la magie s’éteint. On laisse ces moments s’éparpiller dans les limbes de nos souvenirs. Il n’en reste rien, si ce n’est qu’un peu de nostalgie.

Mais parfois, il arrivait qu’on embrassait la mauvaise personne. Que la fille convoitée n’était pas libre. Et que son copain, au détour d’un couloir, trouvait toujours le moyen de nous tomber dessus. En particulier lorsque le copain en question est capitaine de je ne sais quelle équipe, et qu’il est parmi les plus cotés du collège. Collège bien entendu privé et hors de prix, où mes parents, vivant confortablement, ont voulu m’expédier afin que je reçoive la meilleure éducation possible. Tout cela me blasait. Ces fils de riches qui étaient nés avec une cuillère en argent dans la bouche, et qui se permettaient de snober ceux qui venaient de plus loin. Moi, j’habitais à Brooklyn, je n’étais pas de ces jeunes nantis que j’avais bien envie de pendre par leurs cravates certains jours. Qu’importe. J’arrivais à me distinguer par mes excellentes notes, qui excusaient mon attitude quelque peu dissipée. Non seulement j’étais le gars de Brooklyn, mais aussi l’intello de service. C’est fou de voir à quel point les gens, à cet âge là, peuvent coller des étiquettes. Et les clichés, mon dieu, les clichés. Cela relevait parfois de la parodie. Mais je suppose qu’à la longue, on finit par s’y faire. Il suffisait simplement de penser qu’il ne s’agissait que de parasites qu’on pouvait écraser d’un coup de talon. Par contre, ce qui était moins bien, c’était de se retrouver dans la peau du parasite. Parce que ce jour là, il faudra apprendre à courir. Et vite. Pour ne pas se faire écraser, quand bien même l’Autre fera tout pour. Et l’Autre, c’était Lewis Hamilton, le copain de Nancy Forbes. Oui, la fille que j’avais embrassée. Enfin, qui m’avait embrassé. Je ne sais plus trop. Je traînais comme à mon habitude avec Willy, mon meilleur ami. Willy qui était noir, et accessoirement une véritable encyclopédie sur pattes. Et Willy venait de me donner un coup de coude, désignant Lewis qui arrivait vers moi, furibond, avec son plateau dans les mains. Il ne trouva rien de mieux que de me saisir par la cravate, ce qui me fit lâcher mon plateau presque instantanément. Le temps sembla se ralentir. Toute la cafétéria avait le regard braqué sur nous autres. L’intello, le copain noir de l’intello, et le sportif. Plus cliché comme situation, tu meurs.

Lewis planta son regard dans le mien, serrant la cravate si fort que je crus qu’il allait m’étouffer. Il approcha son visage, puis me cracha ces quelques mots à la figure. « Alors, le rat de bibliothèque. Tu te pensais suffisamment malin pour penser que personne ne serait au courant de ta petite escapade avec Nancy? » Une histoire de filles. Ah, jamais je n’aurais pensé être mouillé là dedans un jour, surtout si jeune. Les filles, ça concernait surtout les grands. Et du haut de mes treize ans, pouvais-je être considéré comme grand aux yeux de Lewis, qui en avait quelque chose comme dix-sept? Et que dire du fait que c’était sa chère Nancy qui m’avait attiré dans ce coin, pour m’embrasser à pleine bouche, m’avouant du même coup qu’elle craquait sur moi depuis un moment, mais qu’elle n’osait pas rompre avec Lewis parce qu’elle craignait sa réaction? À voir l’attitude du bonhomme, je comprenais mieux, maintenant, pourquoi elle en avait peur. S’il réagissait au quart de tour avec elle, comme il le faisait avec moi…Face à cette provocation, je décidai de rester impassible. De ne rien répliquer. Cela n’en valait pas la peine. J’étais lucide, malgré mon jeune âge. Il attendait que je vienne apporter de l’eau au moulin. Pour avoir une bonne excuse de me taper ensuite. Une excuse du style : il m’a provoqué. « … » Je sais, il y avait plus éloquent comme réponse. Et elle ne sembla pas satisfaire Lewis, qui prit extrêmement mal mon silence. Comme si je le snobais. Il y avait certes un peu de ça, mais je me taisais pour ne pas m’attirer davantage d’ennuis. J’étais déjà assez dans la mouise comme ça. « Et en plus, tu te permets de me snober? Toi, le gamin de Brooklyn, le sale Ruskof, le mioche de treize ans là, non mais tu t’es vraiment regardé? Qu’est-ce que Nancy peut bien te trouver? » Je me posais la même question, à son égard néanmoins. Tout dans les bras, mais rien dans la tête, c’était toujours comme ça de toute façon. « Ta mère, elle doit faire le tapin pour te la payer, cette école. Et ton père, c’est son mac je suppose. Ouais, il paraît que dans les pays de l’est, y’a beaucoup de putes. LE communisme a fait des ravages, paraît-il. » Mais qu’en savait-il au fond, du communisme? Qu’en savait-il, de la vie que ma mère menait là bas? Qu’en savait-il de ma vie tout court? Il n’avait pas le droit de me dire ça. Et Vlada, c’était sacré, il n’avait pas le droit de l’insulter. Puis s’il voyait Vlada, il arrêterait de critiquer. Parce que Vlada était une femme sublime, et je ne dis pas ça parce qu’elle est ma mère. Quoique non. En fait, il ne valait mieux pas qu’il la voit. Parce que sinon, il allait penser qu’elle était effectivement une prostituée. Vlada. Une pute. Cette association d’idées fit naître en moi une bouffée de colère. Une colère noire, qui se déversait en moi, qui dévastait tout sur son passage, qui m’emplissait la bouche d’un goût cuivré, un goût de sang. Alors, animé d’une pulsion meurtrière, je lui fondis dessus, toutes griffes dehors. J’avais réellement l’intention de le déchiqueter, de l’anéantir. De l’écraser comme le misérable avorton qu’il était. Ce fut le chef de l’établissement en personne qui nous sépara. Nous fûmes tous deux convoqués dans son bureau. Les pourparlers durèrent en tout et pour tout deux heures, au terme desquelles je fus expulsé de l’école, pour avoir molesté un autre élève sans raison légitime. Je sortis tête baissée du bureau, suivi par Virgile, alors venu me chercher par la peau du dos. Ce que je n’aurais imaginé alors, c’est qu’autant de monde s’était massé dans cette zone afin de glaner quelques détails sordides quant à l’issue de cette affaire. Je m’attendais à me faire huer, insulter, subir le comble de l’humiliation. Mais il ne se passa rien de tout cela. En fait, c’était au-delà de mes espérances. J’eus alors la certitude que Lewis Hamilton n’était pas aussi adulé qu’on pourrait le croire. Parce que sur le visage de mes camarades, au lieu d’y lire dégoût et mépris, j’y lus au contraire une certaine forme de vénération, et de respect. Puis, alors que je fendais la foule, salement amoché, chemise déchirée et tachée de sang, un tonnerre d’applaudissements s’éleva. On ne me vilipendait pas. On ne me lynchait pas non plus sur la place publique. Bien au contraire. Tous enfants de riches qu’ils étaient, ils m’acclamaient. Lui. Le gamin de Brooklyn. Celui qui avait été rabaissé devant tout le monde, venait de renverser le tyran une bonne fois pour toutes, libérant cette masse d’élèves-martyrs du joug de ce freluquet. Parce que j'avais fait ma B.A. du jour, le monde pouvait respirer à nouveau. Amen.

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S’offrir un café après les cours avait quelque chose de réconfortant. Surtout lorsqu’il était bien chaud, et décoré d’un nuage de crème. Après une journée de cours, il était encore meilleur. Cet après-midi là, peu après cinq heures, sitôt la cloche sonnée, je m’étais rendu avec Willy au café du coin, afin de se remettre de nos émotions. Se remettre de nos émotions, c’était vite dit. Mais l’idée était là: nous l’avions bien mérité. Je soupirai en m’installant à cette table, posant mon sac en bandoulière sur la chaise d’à côté. Je me frottai le front, non sans grimacer quelque peu. Mes ecchymoses ne s’étaient pas encore totalement résorbées, et les sutures n’étaient toujours pas tombées. Peu importe, la vie continuait son cours. Ce n’était pas parce que j’étais cassé, cabossé, que j’allais rester éparpillé au sol. J’avais dû me relever, et me régénérer par moi-même. Intégrer une nouvelle école sitôt expulsé de l’ancienne. J’étais désormais connu comme étant le Libérateur, j’étais devenu un héros malgré moi, le premier qui avait osé se dresser contre Lewis Hamilton, là où tout le monde avait fermé sa gueule avant d’acquiescer platement à tout ce qu’il disait. Non seulement j’avais pris ma raclée par ce plouc, mais Virgile en avait rajouté une couche. Sitôt rentrés à la maison, je m’étais pris une torgnole magistrale, une de celles qui fait vaciller et qui dévisse la tête. Ma joue avait cuit, et je n‘exagérais en rien en affirmant cela. . Pour un peu, on aurait pu faire frire un œuf dessus. Ce fut la seule claque que je me pris de toute ma vie, et celle-ci, je m’en souviendrai à tout jamais. Elle ne signifiait qu’une seule chose: ne t’avises surtout pas de recommencer. Ce jour là, je n’avais pas envie de rentrer à la maison. Je ne voulais pas subir le regard courroucé de Virgile, que j’avais fortement déçu en volant dans les plumes de Lewis. Je ne voulais pas non plus entendre Eglantine brailler: mes nerfs ne seraient pas assez solides pour supporter les jérémiades d’une gamine de quelques années. Voir Nadège ne me disait rien non plus. Elle était bien gentille, mais elle ne respirait pas la joie de vivre. Je ne savais parfois plus quoi faire pour la faire sourire, tant et si bien que j’avais fini par abandonner. Je préférais nettement la compagnie de Willy. Sûrement parce que c’était un garçon. À notre âge, l’âge con, il fallait le préciser, on préférait traîner avec le meilleur pote plutôt qu’avec les filles - les gens ne croyaient pas vraiment à l’amitié fille/garçon, et les copains avaient tendance à se moquer dès lors qu’on se montrait trop souvent avec une fille.

Dehors, c’était l’hiver. Il faisait froid, et on s’attendait aux tourbillons de neige, qui allaient s’envoler incessamment sous peu. Froid comme il faisait, le café était donc le bienvenu. Doublement bienvenu. Je fis une grimace des plus éloquentes lorsque la boisson trop chaude me brûla le bout de la langue. La porte du café s’ouvrit à nouveau, laissant entrer le blizzard glacial. Fort heureusement, je ne m’étais pas encore dépêtré de mon écharpe, et je n’allais sûrement pas m’en débarrasser de sitôt. Soudain, Willy me donna un coup de coude. J’arquai un sourcil interrogateur. Du menton, il me désigna une personne qui venait d’entrer dans le café, et qui se dirigeait vers le comptoir afin de commander un petit remontant. J’haussai alors les épaules. C’était une fille. Et donc? Y-avait-il lieu d’en faire tout un pataquès? Je jetai un nouveau coup d’œil à la silhouette féminine. Elle avait de longs cheveux bruns qui tombaient en cascade sur ses épaules frêles, un visage fin, plutôt jolie, et très bien habillée. Très différente de Nancy Forbes, qui à côté, faisait souillon. Je ne cessai de la fixer alors qu’on lui servait à boire, et je la fixais toujours autant alors qu’elle jetait un regard circulaire à la pièce afin de repérer les places libres. Je fis comme elle moi aussi. Et je m’aperçus que les seules places libres étaient à notre table. Forcément, nous étions deux sur une table de quatre. Les deux autres places vacantes servaient à asseoir nos sacs…si tant est qu’ils avaient besoin d’être assis, évidemment. Je relevai finalement la tête quand je m’aperçus qu’elle était partie. Mais pas tout à fait. Parce qu’elle était là, juste à côté de nous, son gobelet fumant entre ses mains graciles. Elle se mordilla la lèvre inférieure, puis demanda timidement. « Je peux m’asseoir ici, il n’y a plus de place ailleurs. » Instinctivement, je mis à terre mon sac, pour lui céder la place. Mon dieu. Que dirait Nadège si elle me voyait ainsi? Elle ferait sûrement la gueule, moi qui lui accordait rarement ce genre de faveurs. Willy fit semblant de consulter sa montre, puis se leva. « Bon, je vous laisse mes gens, je dois rentrer à la maison. » il me tendit la main, alors que j’ouvris des yeux ronds, estomaqué par cette traîtrise. « On ne plaisante pas avec l’horaire. On se voit demain, mec! » Je jetai un coup d’œil désabusé à mon café encore fumant. Puis, noyai mon trouble en buvant une gorgée. La fille venait de laisser échapper un rire léger, qui provoqua en moi quelques frissons. Je me crispai légèrement. Et me fis mal à l’arcade à force de grimacer. Bordel, il ne m’avait pas loupé, ce con! « Que t’est-il arrivé? » demanda-t-elle, sourcils froncés, alors qu’elle défaisait son écharpe pour la poser soigneusement sur le dos de la banquette. « tu t’es fait passer dessus par un bulldozer? » Et là, je ne sus pas pourquoi, mais je souris. Sa façon de parler me plaisait, tout comme son ironie mordante. Je passai une main dans mes cheveux, machinalement. « On va dire ça comme ça. Mais humain, le bulldozer, humain. Quoique, je me demande si ça peut être humain, ceux qui sautent sur tout ce qui bouge. » Ma réflexion dépitée lui arracha un nouveau rire. Bon. Si elle ne cessait de glousser à chacune de mes paroles, ça allait être difficile. Très difficile.

Et elle continuait de se déshabiller. Enfin, d’enlever ce qui était trop encombrant. Il ne s’agissait pas non plus de faire un attentat à la pudeur en exhibant ce qui ne devrait pas l’être. Et moi, comme un con, je la matais. Constatant qu’elle avait tout ce qu’il faut là où il faut. Et je rougis à cette pensée. Putain. Moi qui étais toujours turbulent, toujours au taquet, c’était le silence radio. Aucun signal. « Tu es drôle » affirma-t-elle en s’asseyant à côté de moi. « Et grossière que je suis, je ne me suis même pas présentée. Emily Wilkes. » Emily. Elle s’appelait donc Emily. Il y a deux secondes, je maudissais Willy de m’avoir abandonné. Et à présent, je le bénissais. Même si demain, il allait entendre parler du pays. « Emily. » je répète, savourant chaque consonance de son prénom. Puis, je réalisai que j’avais l’air complètement crétin, à la fixer ainsi sans parler. Alors, je souris encore, puis je décidai de me présenter à mon tour. « Et moi c’est Varlam. Enfin. Ambroise. Tout le monde m’appelle Ambroise. Mais j’aime pas mon prénom. Je préfère l’ancien…Enfin, c’est une longue histoire. Une très longue histoire et… » Tu viens de te rétamer en beauté, mec, tu t’en rends compte maintenant? Mais la belle Emily ne sembla pas m’en tenir rigueur. Elle croisa ses mains en dessous de son menton, puis elle me fixa, à travers ses longs cils, qui lui donnaient un putain de regard. Un regard profond et envoûtant. « J’aime bien les longues histoires. Et il n’y a jamais rien de compliqué. » Alors, je lui racontai tout. Vraiment tout. De ce que je me souvenais, en tout cas. De la Russie, du communisme, de ma mère qui n’arrivait pas à joindre les deux bouts. Puis de son boulot, où elle était payée avec un salaire de misère. De cette chambre de bonnes où nous vivons tous les deux. De la faim qui me tiraillait l’estomac. De l’arrivée de Virgile dans notre vie à tout les deux. De ma mère qui l’a attendu, longtemps. Et de Virgile qui est revenu. Pour qu’on le rejoigne dans son pays, l’Amérique. Où nous pourrions demander un asile politique. De notre traversée chaotique. De ces autres voyageurs qui étaient avec nous, entassés dans le container. La faim, la peur, la soif. La déshydratation. La Vierge Marie que m’avait donnée ce vieux tchèque, en me disant qu’il allait me porter chance. Marie que je portais encore, autour de mon cou. Nadège. Eglantine. Tout. Elle savait tout. Mon histoire, elle la connaissait. Je mis en tout et pour tout deux heures pour la lui raconter. Dans son entier. Et, à la fin du temps qui m’était imparti, elle m’avait souri. Elle avait pris mes mains dans les siennes, puis elle avait murmuré. « Je suis contente que tu m’aies raconté tout ça, Varlam. C’est une histoire intéressante que tu as là. » Alors, je souris encore. Parce que j’étais content d’avoir un interlocuteur auquel me confier. Et surtout, qui me comprenne. Et à son tour, elle me raconta son histoire. Pleura lorsqu’elle en arriva à la mort de son frère. Pleura encore lorsqu’elle évoqua son ex petit-ami, qui l’avait plaquée parce qu’elle n’avait pas voulu lui donner sa virginité. Virginité que je pris quelques mois plus tard, alors que nous étions ensemble. Et que ça durait. Les jours avaient défilé, puis les mois. Puis même, les années. Et un jour, elle me dit. « Je suis heureuse d’avoir rencontré quelqu’un comme toi. Des gens bien, ça ne court plus les rues. » Alors oui, j’étais quelqu’un de bien. Imparfait de l’indicatif. Ça indiquait quoi, déjà? Une époque passée et révolue, non? Une action qui a duré dans le temps, et aujourd’hui achevée? Si c’est bien ça, alors l’imparfait n’était que trop bien choisi.

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11 septembre 2001. Comme tous les jours, c’était la course. Pour emmener les enfants à l’école. Pour aller au bureau. Le train-train quotidien en somme. Les gens continuaient à vivre, sans se douter un seul instant que, peu après neuf heures, un drame allait secouer le monde entier. À la maison, c’était le rush. Comme d’habitude, Eglantine prenait son temps pour se préparer. Déjà, à dix ans, elle occupait la salle de bains jusqu’à des heures indues, qu’est-ce que cela serait lorsqu’elle aurait 17 ans? Mais ça, je ne le verrai pas, je ne le verrai même jamais, puisqu’elle était partie en Alabama, chez son oncle et sa tante. Pourquoi je ne dis pas Notre? Simplement parce que je n’avais pas de lien de sang avec eux, l’oncle en question étant le frère de Virgile. Brosse à dents dans la bouche, je me mis à toquer contre la porte. « Eglantine! » je m’exclame, boudeur. « Tu comptes coloniser la salle de bains ou quoi? J’suis pas encore prêt et je dois aller passer chercher Emily avant d’aller au lycée. Come on, sister, il y a les autres aussi. » Vlada surgit d’un couloir, tirée à quatre épingles, comme à son habitude. Elle partait travailler, elle aussi. Pareil pour Virgile. Ce qui était pratique, c’est qu’ils travaillaient au même endroit. Mais pas au même étage. Et à des grades différents, si je puis dire. Virgile était patron de je ne sais plus quoi -ses montres ont définitivement coulé en même temps que l’ex-URSS, et Vlada était secrétaire, mais d’un autre patron. En soupirant, agacé, je cogne encore dans la porte de la salle de bains. « Que se passe-t-il, Ambroise? Pourquoi tu tapes comme un sourd dans la porte? » Je toisai ma mère, prenant mon expression la plus dépitée qu’il soit. « Mais Maman, Eglantine prend tout son temps, j’suis à moitié à poil, j’aurais jamais le temps de me préparer moi! » Vlada arqua un sourcil, avant d’ouvrir la porte en question. Eglantine n’y était plus, même si la lumière était restée allumée. « Je l’ai envoyée se lisser les cheveux dans la chambre. Maintenant, tu peux occuper la salle de bains, Emily et toi allez être en retard. Il y a vos pique-nique sur la table. J’espère que tu aimes toujours les sandwichs au blanc de poulet? Moi, je file, mon patron ne plaisante pas avec les horaires. » Cette phrase me fit sourire. Elle me rappelait Willy, quand il avait trouvé une excuse pour me laisser seul avec Emily. Je trouvais sa manie de vouloir me caser exaspérante, mais je devais reconnaître que pour le coup, il avait eu du flair. Vlada se pencha vers moi, et ébouriffa mes cheveux tendrement. Finalement, elle m’embrassa. « Passes une bonne journée, mon grand. À ce soir. » Je m’engouffre dans la salle de bains sans un mot. Plus exactement, je consentis un faible au revoir une fois que j’eus craché le dentifrice dans le lavabo. Mais Vlada n’était plus là. Elle était partie, et elle ne reviendrait jamais. Parce que quelques heures plus tard, les tours jumelles s’effondreraient, emportant parmi elles les âmes de Vlada et Virgile, laissant deux enfants orphelins. J’ai toujours regretté de ne pas avoir dit au-revoir à ma mère, d’avoir été obsédé par l’idée que j’allais être en retard pour prendre la peine de l’embrasser à mon tour, et de la serrer dans mes bras. Je regrettais, mais remonter le temps était impossible, tout du moins, c’Est-ce que je croyais à l’époque. Le temps a passé, encore. La plaie était toujours béante, mais il fallait continuer. je suis allé à la fac. Pour accomplir mes ambitions: être pilote de chasse. L’aviation m’avait toujours fasciné, on pourrait même dire que j’en rêvais. Puis, je me suis installé avec Emily. Dans un appartement miteux, certes, mais c’était toujours mieux que rien. La vie d’étudiant pouvait commencer.



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CHAPITRE 4.

Et puis, j’ai dû partir. J’ai dû partir faire ma formation de pilote. Pendant trois longues années, j’ai appris. je sortais tout juste du lycée, et diplômé qui plus est. J’ai été l’un des meilleurs élèves de ma promotion, passionné par les mathématiques et les sciences. Je vivais au travers des chiffres, j’employais un vocabulaire étrange. Et, pendant ces années, alors que je portais des lunettes de vue pour corriger ma myopie, on me voyait volontiers comme un geek. Puis, à la fin du lycée, j’ai troqué mes lunettes contre des lentilles de contact. Emily quant à elle s’est destinée à l’ingénierie. Le parfait petit couple d’intellos surdoués, en somme. Et qui avaient de grandes ambitions pour l’avenir. Même si nous vivions ensemble, le mariage et les enfants n’étaient pas encore d’actualité. Nous avions nos études à assurer, on ne pouvait pas se lancer tête baissée dans la vie. La première séparation fut difficile. Emily me manquait. Mais j’ai appris à m’accommoder de son absence. Ma première expérience au sein de l’armée fut enrichissante. Je revenais pour les vacances, je profitais encore un peu d’Emily, et j’y retournais sitôt ma permission achevée. Les choses fonctionnèrent ainsi durant trois ans, le temps que j’achève ma formation de pilote. Puis, un beau jour, alors que nous avions 21 ans à peine, je me suis décidé à la demander en mariage. Je l’avais emmenée au restaurant, puis à l’opéra. Puis, nous nous sommes promenés dans le Central Park, et c’est là que je me suis agenouillé pour lui demander sa main. On se maria l’été suivant, puis, je partis pour la première fois en Afghanistan, dans cette guerre qui avait débuté en 2002, et où je laisserai mon âme. J’appréhendais le moment où j’allais devoir dire à Emily que je m’en allais, que j’allais faire la guerre, que j’allais tuer des hommes pour défendre la patrie. J’appréhendais également les adieux. Ce matin là, quand je partis, il n’y avait personne à la maison. Emily et moi nous nous étions compris. Elle s’était arrangée pour être occupée ce jour là, aussi n’aurait-elle pas à pleurer comme une madeleine lorsque viendrait le moment de la quitter. Loin de me vexer, cette petite attention m’arracha l’ombre d’un sourire. Et elle me rappelait pourquoi j’aimais Emily. Je suis donc parti, sans le goût amer des adieux sur le bout de la langue. Par contre, elle fut là, lorsque je rentrai pour Noël. Pendant les quelques huit mois où nous nous étions séparés, nous avions entretenu une correspondance régulière. Je lui racontait ce qui se passait au front, sans divulguer les détails classés confidentiels concernant ma mission. Aussi, au travers de ces lettres, j’eus l’impression qu’elle était encore là, près de moi. Et le temps, à nouveau, défila. Un matin, je reçus une lettre de ma douce Emily. Une lettre qui me fit le même effet que si j’avais reçu une enclume sur la tête, mais qui provoquait également un tas d’émotions différentes: la joie, mais aussi l’appréhension. L’idée que je n’allais pas être présent dans la vie de l’enfant qu’elle attendait m’effleura. Parce que oui, j’allais être papa. Papa…ça fait étrange quand j’y repensais. Je n’étais même pas certain d’être prêt pour ça, on avait quoi, 23, 24 ans peut-être? Quoiqu’il en soit, j’avais de plus en plus hâte de rentrer à la maison. Je me lassais du désert Afghan, à perte de vue, surtout que j’ai connu New York, la ville qui ne dort jamais, toute ma vie. Mais il est inutile d’en espérer davantage…Emily avait perdu l’enfant. Moi qui craignais qu’il ne me connaisse pas, c’est finalement l’inverse: je ne le ou la connaîtrai jamais. Et je m’en voulais de ne pas être là pour aider Emily à surmonter cette épreuve. Willy par contre, était là. Et je ne savais pas si je devais m’en inquiéter ou pas. Quoiqu’il en fût, à partir de ce moment, le temps me parut bien long.

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Pour une fois, j’étais au sol. Fusil sur l’épaule, et bandage autour de la jambe. À Kaboul, les bombes pleuvaient, et les pales des hélicoptères déchiraient le ciel par intermittence, rapatriant les blessés dans les camps. De nombreux incendies s’étaient déclarés, et la population fuyait. Parmi eux, les Talibans, nos ennemis, ceux qu’on combattait dans l’ombre sans jamais les voir, ceux qui restaient invisibles à nos yeux. On prétendait qu’ils étaient tapis dans les montagnes, mais on savait bien qu’ils n’y étaient pas. Nous étions à bord d’un véhicule crachotant comme un vieux tacot asthmatique, en train de cuire sous le soleil de plomb. L’habitacle tressautait à chaque bosse et nid de poule rencontré. Et nombreuses furent les fois où je me cognai contre les parois, quand bien même je n’y aurait pas posé directement la tête. Le conducteur gara la camionnette à l’abri des regards, et attendit les ordres. Ordres qui ne tardèrent pas à arriver de l’état major. On devait fouiller la bâtisse qui était droit devant nous, bâtisse qui, le disait-on, avait servi de QG à un groupe de Talibans pendant un petit moment. On s’engouffra à l’intérieur, cueillis par l’obscurité aride qui y régnait. Parfois, un rai de lumière déchirait l’obscurité, et montrait de la poussière en suspension dans les airs. Aux aguets, on progressait dans notre exploration, fusil chargé à bloc, prêt à être utilisé au cas où. On couvrait le gars qui portait une mallette bourrée d’explosifs. Les ordres avaient été clairs. Notre unité était chargée de faire sauter le bâtiment. Peu importe ce qui s’y trouvait, l’essentiel est qu’il n’en reste rien, afin que le matériel éventuellement présent ne puisse pas être utilisé par l’ennemi. Mais ils n’étaient pas bêtes non plus, ils avaient sûrement dû emporter ce qu’il y avait de plus important. Ils n’ont tout de même pas déserté brusquement en abandonnant tout sur place, si? Clarks déposa les explosifs aux points stratégiques du bâtiment, puis nous en sortîmes tous, sans exception. Le détonateur fut pressé, les charges explosèrent, faisant s’effondrer la bâtisse dans un gigantesque nuage de poussière. À côté, les hommes se réjouissaient. Nous avions anéanti un point stratégique, mais combien y en avait-il d’autres?

En fin d’après-midi, on se retrouva à patrouiller dans les rues. Et nous étions toujours au moins deux par deux. Mon coéquipier s’appelait Merwin Abrahms, et il était plus vieux que moi. Cette fois-là, il était allé remplir sa gourde au premier robinet d’eau potable des environs. Je risquai un regard vers le ciel trop bleu, sans nuages. Le soleil tapait, et vêtus ainsi de nos uniformes, il faisait chaud. Trop chaud. Tant et si bien que je m’épongeais le front toutes les cinq minutes. Puis, j’eus envie de bouger. Si Merwin voulait me rejoindre, alors il me rejoindrait, il n’en avait quand même pas pour trois heures, si? Arme en mains, je m’avançais dans les rues du quartier dévasté. Il n’y avait plus personne par ici. Pas même un chat. Ou un animal errant. Juste nous, en réalité, en tête à tête avec la Mort. La mort qui continuait d’aligner les cadavres, et de les priver de leurs âmes. Et la Mort m’attendait, au détour d’un chemin, blottie dans les bras d’une femme. Une femme qui pleurait sur le corps désartibulé d’un enfant en bas âge, probablement le soir. Je ne pouvais voir combien il avait pu lui ressembler, puisque la moitié de son visage avait été emporté par une balle, ou un éclat de roquette. La femme hurlait à la mort. Au départ, je crus qu’elle avait été elle aussi blessée, mais très vite, je compris que la raison de son désarroi était profonde…Rien n’était pire pour une mère que de perdre son enfant. Et rien ne pourra jamais compenser la perte qu’elle venait de subir. L’Afghane leva ses yeux emplis de douleur, de désespoir -cela pouvait-il seulement se nommer?- vers moi. Eut un mouvement de recul. Et se calma lorsqu’elle reconnut l’uniforme que j’arborais. Je fus troublé par la profondeur de son regard. Un regard d’un bleu perçant. Ce qui devait être rare, dans ce pays, où la majorité de la population était brune aux yeux marrons. Elle serrait l’enfant mort contre son cœur, de toutes ses pauvres forces, et se balançait d’avant en arrière, comme pour le bercer dans son repos éternel. « Ils vont revenir, ils vont revenir! » s’écria-t-elle, la voix montant dans les aigus. Ils. Qui ça, ils? Les Talibans, bien évidemment! Qui cela pouvait-il être d’autres? Qui étaient capables d’anéantir des pans entiers de la population à travers des attentats, une répression sévère, et une guérilla qui n’en finissait plus? « Ils ne sont plus là », n’avais-je cesse de répéter, autant pour la rassurer elle, que pour m’en convaincre moi. C’est vrai, quoi. Il n’y avait plus rien ici. C’était devenu un quartier fantôme, hostile à toute présence humaine. L’odeur de brûlé empestait même deux rues plus loin, et plusieurs incendies, provoqués par des raids aériens, avaient éclaté ça et là, en plusieurs foyers. « ils vont revenir, n’est-ce pas?  Ils m’ont pris mon fils, mon fils unique! Et qu’Allah m’en garde, mais ils vont revenir, ils doivent me prendre eux aussi. » Je hochai frénétiquement la tête, comme pour faire signifier mon désaccord. Ils avaient fait suffisamment de victimes comme ça, il était inutile d’en ajouter une de plus à la liste. On ne pouvait plus rien faire pour l’enfant, mais la femme, elle, pouvait être sauvée. Tout du moins, je le croyais. Dur comme fer. Mais le croire n’avait pas été suffisant. Je m’agenouillai à ses côtés, puis je lui pris doucement le bras, pour l’aider à se relever. « Venez, nous allons vous sortir de là. » L’afghane pleura de plus belle. Elle pria Allah, de toutes ses forces, et cria encore un peu sa douleur. Une douleur insoutenable, psychologique, qui éclipsait celle physique. « Mais vous ne comprenez pas! » s’écria-t-elle. Bien sûr que je ne comprenais pas. Comment pouvais-je envisager le fait qu’elle ne voulait pas être sauvée? Finalement, sauver une personne qui ne voulait pas l’être, c’était pire que tout. C’est comme si on prolongeait son calvaire, alors que mourir aurait évité tant de souffrance…peut-être garantir une paix dans l’au-delà qui ne sera jamais acquise sur Terre. Mais mourir, c’est lâche. Parce que sa douleur, on pouvait vivre avec. La surmonter. Se battre, parce que baisser les bras serait injuste pour ceux qui ont partis, et qui auraient aimé rester un peu plus longtemps. « Je ne peux pas vivre alors que j’ai perdu mon fils unique. C’est pourquoi ils doivent finir le boulot. Je dois être là pour guider mon fils, dans cette vie comme dans une autre. Je n’ai pas le droit de l’abandonner, que va-t-il faire sans moi? » La question était plutôt comment allait-elle faire sans lui. Elle qui était si…désemparée. Désespérée. Anéantie, je dirais même. Aucun mot ne sera assez fort pour exprimer ce qu’il en était vraiment. « Faites quelque chose pour moi…s’il vous plaît. Je ne sais pas qui vous êtes, mais si vous êtes là, c’est pour une bonne raison. Je crois en Allah, vous savez? Et Allah m’a indiqué quel chemin prendre…Ce chemin qui m’a fait rencontrer le vôtre. Aidez-moi, je vous en conjure! » Mais comment je pouvais l’aider, moi? Je pouvais la ramener au camp, la soigner, la guérir. Faire en sorte qu’elle aille mieux. Lui permettre de vivre plus longtemps. Mais ce n’est pas ce qu’elle voulait, n’est-ce pas? « Que voulez-vous que je fasse? » je laisse échapper, dans un murmure. La femme consentit enfin à lâcher sa progéniture, pour prendre mes mains entre les siennes, ensanglantées. Le visage baigné de larme, elle me supplia. « Je vous en prie. Sauvez mon âme. Brandissez votre arme, et tuez moi. Je ne peux pas vivre sans mon Mohammed. Quelle injustice, mais quelle injustice! Je n’ai plus rien à perdre, vous savez. Tuez moi, et qu’Allah m’en soit témoin, je tâcherai de guider vôtre âme sur des sentiers moins sombres. Je vous dois bien cela. Mais je vous en prie, brandissez votre arme et achevez moi, ma vie n’a plus de sens, la guerre m’a tout pris. Mon fils, mon sang, mon âme, et même ma foi. » Sidéré. Voilà comment j’étais, à écouter son laïus. Un discours qui n’avait ni queue ni tête, et qui ne rimait à rien. Folle, elle était folle. Folle à lier. Mais non. Elle venait de perdre son enfant, son unique enfant, il est normal qu’elle soit si…si…et moi, que dois-je faire, dans tout ça? Prendre une vie était une décision qui ne se prenait pas à la légère. Sitôt qu’on prenait la vie de quelqu’un, dans une guerre ou dans toute autre situation, on acceptait que sa vie soit maudite. Et elle se maudissait toujours plus à chaque victime qu’on faisait, volontairement ou pas. Néanmoins, j’avais levé le canon de l’arme, presque de façon machinale. Et je tremblais, parce que je n’avais jamais tué personne. Encore moins à bout portant. Je fus prêt à baisser les bras, à abandonner et à m’enfuir lâchement. Parce que je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas achever cette femme, qui me le demandait pourtant avec tant de ferveur. Et pourtant. J’avais fermé les yeux. J’avais pressé la détente. La balle était partie, et la force de l’explosion m’avait fait vaciller. Et quand je rouvris les yeux, je vis alors que ses yeux à elle étaient grands ouverts, tournés vers le ciel, en train de prier je ne sais quel Dieu. Je balance mon arme à terre, pour sitôt lui fermer les paupières. Je pris dans mes bras le cadavre de l’enfant, pour le mettre dans ses bras à elle. Comme ça, elle ne sera pas seule là haut. Et ils seront réunis, pour l’éternité, comme elle le voulait. Et ce faisant, je pensais à l'enfant que j'aurais dû avoir, et que je n'ai pas eu. Je pensais à Emily, qui avait directement subi cette perte. Moi, je ne comprenais pas. Mais peut-être que elle aurait compris. C’Est-ce moment là qu’Abrahms choisit pour débarquer. « Putain, mais qu’est-ce que tu fous, Bonham? » Je ramasse l’arme, puis je jette un dernier regard à cette femme. Cette femme qui m’avait irrémédiablement changé, qui m’avait fait basculer dans l’horreur et l’abomination. Celle qui avait fait de moi un monstre, capable de tuer froidement, sans aucun état d’âme, prenant même un plaisir sadique à descendre l’ennemi. Un tué pour chacun de ceux qui ont péri dans les attentats qu’ils ont perpétré. Ah, ça, ils seraient bientôt rayés de la carte si on venait à en appliquer scrupuleusement cette règle. « J’ai sauvé cette femme du destin tragique qui l’attendait. Elle vient de me dire merci. » j’éludai alors, avant de m’éloigner de cette scène d’horreur. Abrahms ne dit rien, pensant sans doute que j’étais cinglé. Il n’avait pas tort, et c’est ça le pire. Alors, il m’emboîta le pas. Dans la vitrine du premier magasin venue, je vis le reflet de cette femme. Elle tenait la main de son enfant, et tous deux me disaient au-revoir. Mais ce n’était pas un adieu. Parce que dorénavant, ils veilleraient sur moi.

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Et je fume, encore une fois. Une mauvaise habitude que j’ai prise là bas, en compagnie des autres gars. Ça plaisante, ça parle femme et enfants, ça raconte des blagues salaces. Mais on garde à l’esprit qu’on est là pour faire la guerre, qu’on doit flinguer des gens. C’était devenu la routine. La cruelle et sanglante routine. Tant de morts sacrifiés sur l’autel de la violence, du pouvoir et de la politique. Certains gars ne savaient pas pourquoi ils avaient été parachutés ici. D’autres, au contraire, avaient un but. Le mien, c’était la vengeance. Je voulais qu’ils payent pour avoir pris ma mère, mon père, et tant d’autres. Et à mesure qu’ils tombaient, les uns après les autres, je ressentais cette satisfaction morbide, qui résonnait dans chaque pore de ma peau. Ce plaisir cruel, sadique même, à voir le sang couler, à imaginer leur souffrance. Mais rien n’était gratuit. Parce que c’était pour une bonne cause. Une bonne et noble cause. « hé, à quoi tu penses, Bonham? » m’interpella un des gars. Je sursautai légèrement, en reprenant contact avec la réalité. « à ma femme. Au fait que je reviens chez moi pour Noël, sûrement. » Un demi-mensonge, qui sembla cependant lui convenir, puisqu'il ne me posa pas d'autre question. Bien sûr que je pensais à Emily. J’y pensais même très souvent. Je me demandais si elle était assez entourée, si on prenait soin d’elle. Depuis qu’elle avait perdu l’enfant, elle était restée fragile, bien qu’elle n’en montrait rien, jouant les dures. Mais je savais comment était Emily, à l’intérieur. Sensible et dévouée, tendre et amoureuse, aimante et protectrice. Parfois, je me surprenais à rêver du satin de sa peau, de ses lèvres à la douceur de pêche, à son corps si parfait que je connaissais par cœur. Mais ces temps-ci, je pensais beaucoup plus à l’Ange, cette Afghane qui revenait régulièrement me hanter. Non, je ne suis pas fou, simplement, un ange gardien veillait sur moi, et s’assurait que je ne fasse pas de faux-pas. La première fois qu’elle m’est apparue, c’était d’ailleurs peu après son meurtre, j’étais prêt à abattre un homme. Un homme que j’avais dans ma ligne de mire, et qui allait tomber sous mon tir. Elle avait dit non, que je ne devrais pas le faire. Parce que cet homme est innocent. Il n’a rien à voir avec les personnes que nous combattons, il n’était pas un terroriste. C’était un vieux fermier venu chercher des victuailles à la ville, tout du moins, piller les magasins qui avaient été abandonnés après nos frappes aériennes. Alors, je ne l’ai pas tué. Simplement. Parce que je faisais confiance à l’ange aux yeux clairs. De là haut, elle voyait bien tout ce qui se passait ici bas. Et elle avait le pouvoir de décréter qui j’avais le droit de tuer, ou non. Cela pouvait paraître fou, me faire mériter une place dans un asile psychiatrique, mais je ne faisais pas l’erreur, je ne commettais pas la faute. Ma conscience restait sauve, si tant est qu’il m’en restait une. Bien sûr, l’Ange ne faisait pas que sauver ce qu’il y avait à sauver. Elle détruisait, aussi. Elle se servait de moi pour assouvir son désir de vengeance, pour que souffrent ceux qui ont osé massacrer son fils sans la massacrer elle. Elle détestait l’ennemi aussi intensément que moi, voire même davantage: je n’avais perdu que mes parents, elle avait perdu sa progéniture, son fils unique, celui qu’elle a mis tant de temps à avoir, me disait-elle. Ah; pour ça, je connaissais son histoire. L’enfant avait été un cadeau du ciel. Et elle m’avait avoué ne plus croire en Dieu (ou Allah, peu importe comment il s’appelle), parce qu’il l’avait abandonné. Je lui ai assuré que ce n’était pas grave, parce que moi non plus je ne croyais pas en Dieu. Mais ce soir là, je m’étais mis à prier. Non seulement pour honorer mes disparus, mais aussi pour sauver le salut de cette femme, vouée aux Enfers en raison de son blasphème.

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En temps de guerre, soldats comme civils pouvions mourir à tout instant. Nous avions tous une épée de Damoclès au dessus de la tête. Il suffisait d’un rien pour que la menace ne s’abatte, et ne coupe le fil de la Vie. La vie qui, petit à petit, quittait notre corps, notre enveloppe charnelle, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. On n’avait plus qu’à rapatrier les cadavres. Certains de nos gars étaient tombés au combat. Une centaine, au moins. Si ce n’est plus. Autant de familles endeuillées par la perte de leur fils, leur père, ou leur frère. La guerre, je finis par la détester. Je suis épuisé. Pourtant, je dois continuer, parce qu’il en est de mon devoir. Cela faisait des mois que je n’étais pas rentré à la maison. Emily qui s’éloignait, lentement mais sûrement. Prise par son travail, disait-elle; Prise par son travail. Mais moi, je ne voulais pas qu’elle parte. Je voulais qu’elle reste, et qu’à la fin de tout ce merdier, que nous ayons la famille que l’on désirait depuis longtemps. Mais comment assurer son rôle de mari et de père lorsqu’on était loin? J’en savais rien. Et elle en avait assez de dormir seule, de cette baraque vide. Du temps qui lui paraissait affreusement long. Pourtant, ce matin là, quand je montai à bord de l’avion pour ensuite décoller, je ne pensais pas que mon vœu fût si rapidement exaucé. Enfin…rapidement…c’était vite dit. Je volais par-dessus Peshawar, m’amusant à faire quelques loopings avec l’appareil, me faisant engueuler par le supérieur. «  Bonham, arrêtez donc de faire le guignol, je vous rappelle que vous avez une mission à accomplir! » Ouais ouais, je répétais. Je sais. Mais en fait, on ne savait rien. À contrecoeur, je cessai donc de m’amuser, pour me concentrer sur la mission en cours. Il s’agissait de rallier Peshawar pour en déloger les insurgés. On racontait même qu’un des membres les plus recherchés d’Al-Qaïda s’y trouvaient. Puis, j’entendis une violente explosion, qui secoua tout l’appareil, qui fit de violentes embardées. « Bonham, » répétait le commandant, « il faut vous poser immédiatement, vous avez été touché par un tir ennemi. Je répète, il faut vous poser immédiatement, sinon, vous allez vous écraser. » Mes pensées défilaient à toute vitesse. Je pensais même à l’éventualité que la mort vienne me chercher, maintenant. J’étais si jeune. Et pourtant, je fus déterminé à ne pas mourir. Alors, je sautai de l’avion en plein vol. Mon parachute se déploya, mais ce ne fut pas suffisant pour me permettre d’atterrir en douceur. Je me brisai les côtes et une jambe dans la chute. J’eus tout juste le temps de me plaquer au sol quand l’avion explosa. Je fus touché par un éclat de je ne sais pas quoi, et je ne sus jamais de quoi il s’agissait, puisque je venais de sombrer dans l’inconscience, aveuglé par la douleur qui me déchirait de part en part.


EPILOGUE.

Il est des erreurs que l’on peut pardonner. D’autres, qui laissent des traces indélébiles, dont les conséquences ne peuvent pas être réparées. Peu après que j’eus échappé au crash de mon avion, je fus enlevé par une troupe de rebelles, et retenu en ôtage. Personne ne savait où j’étais, tant et si bien qu’ils me crurent mort. Les six mois qui s’ensuivirent furent les plus atroces de toute ma vie. Et quand je dis atroce, je n’exagérais en rien. Je fus mal nourri et torturé, servant de jouet à ces hommes rongés par la haine, la haine de l’autre. J’étais le foutu soldat américain qu’on prenait plaisir à voir morfler. On m’avait forcé à marcher, plus d’une fois. Mais ma jambe cassée m’en empêchais, tant et si bien que je tombais face contre terre, provoquant l’hilarité de ces monstres. J’étais sale et j’avais faim, j’avais mal, mon uniforme était tâché de sang et de bien d’autres choses qu’il ne valait mieux pas savoir. J’avais maigri, fondu comme un glaçon trop longtemps resté au soleil. Prier était inutile, l’Ange m’avait abandonné, je savais que j’allais mourir seul, seul et épuisé. Épuisé par cette guerre qui s’éternisait, épuisé par cette haine que je ne comprenais pas. Malgré tout, j’étais resté ce jeune homme débonnaire qui avait tant d’idéaux, et qui restait persuadé qu’on pouvait comprendre les autres en dépit de leurs différences. Mais mes rêves, mes utopies, mes illusions, étaient morts un à un pendant cette période où je fus maintenu en captivité. Je ne pouvais plus rester dans le noir, encore moins enfermé. Je pétais les plombs, les amusant d’autant plus. Ils pouvaient en rire, ça oui, de ma déchéance! Parfois, je rêvais que je prenais un flingue, et que je tirais dans le tas. Mais j’étais un homme blessé, et mes forces aussi, m’abandonnaient. Agonisant, aux portes de la mort, je ne m’étais pas rendu compte qu’un jour, mon calvaire s’arrêta. On était venu me chercher. Enfin, pas exactement. Déloger les insurgés d’ici, plutôt. Et par hasard, on m’avait trouvé. ça alors, c’est qui celui là? Bonham, non? Fichtre, on le croyait mort Je n’entendis pas ce qui se disait à mon propos, puisque je sombrai dans l’inconscience. Quand je me réveillai à nouveau, j’étais dans un hôpital militaire, rapatrié en Amérique. Emily était là, elle avait guetté mon réveil. Dès lors que j’eus ouvert les yeux, elle s’était jetée sur moi, et m’avait serré fort, m’arrachant un feulement de douleur à cause de mes côtes cassées. Je sortis d’ici trois semaines plus tard. Je me requinquai rapidement à la maison. Mais le tableau n’était plus aussi idyllique qu’avant. J’avais changé, indubitablement. Je faisais des cauchemars, sans cesse. Je devenais agressif dès lors que je me sentais menacé. Je devenais violent, aussi. Je fis peur à Emily quand, pour la première fois, j’avais piqué une colère en tapant du poing sur la table. La fois suivante, j’avais tout envoyé valser dans la salle de bains, renversant flacons de parfums, et autres produits de beauté. Je me suis mis à boire, beaucoup trop, et je fumais comme un pompier. Mais ça n’allait pas. Ça n’allait jamais. Un jour, quand je me levai, j’étais seul. Et je le restai. Parce qu’Emily s’était barrée. Parce qu’Emily ne m’aimait plus, parce qu’elle en avait marre de moi, du monstre que j’étais devenu.
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