I.
La mère presse son enfant contre son sein avec tendresse. Ses forces la quittent peu à peu alors que l'obscurité dévore les flammes. La danse est fini, l'enfant pleure toute les larmes de son corps et semble hurler qu'il se sentait bien plus au chaud dans le ventre maternel. La petite hutte est plongée dans les ténèbres malgré les efforts du père qui tente de rallumer le feu. Le souffle du vent est puissant, au dehors.
La mère écarquille de grands yeux tandis que sa fille téte goulument. Elle murmure à son compagnon « C'est un message, les Dieux nous privent de lumière... ». Ce dernier pousse un grognement, préfère croire à un simple courant d'air et frappe deux silex l'un contre l'autre. Le froid, toujours aussi vigoureux, s'imisce entre les rondins. Ses bras s'étendent tels de fines couvertures glacées. L'enfant grelotte, se remet à pleurer et agite ses petites bras impuissants. A l'entrée de l'abris, personne ne croit qu'elle va passer la nuit.

Pourtant, les années s'écoulent lentement. La petite fille grandit, sourit, assistent aux plus beaux matins et aux plus froids hivers. Devant le regard attendri de ses parents, elle cueille un bouquet de fleurs blanches et les noue entre elles pour en faire un collier. Il lui est difficile de prononcer son prénom alors, elle aime se faire appeller Moes. Son dos est recouvert d'une large fourrure d'ours, présent de son père pour la protéger de la morsure du froid. Celui ci se fait de plus en plus violent, interminable, meurtier. Les victimes sont brûlées, les cendres enterrées et les visages s'évanouissent. Une larme cède la place à l'indifférence, le climat façonne son caractère ainsi que son corps frèle. Elle est plus grande que sa mère à présent et, lors des grandes périodes de pluies, c'est elle qui se trempe jusqu'à la taille pour chercher de quoi manger. Sa cape est découpée, partagée, les poils de l'animal tombent petit à petit. Cette existence est traitre, comme le regard de ses compagnons. Sa dernière amie a succombé, la maladie l'a emporté.
Les Dieux la fatiguent, elle n'a que douze ans et déjà, elle se sent l'âme d'une grande guerrière. Le comportement du gibier la pousse à prendre une décision. Il faut partir, courir vers l'est, rejoindre les grandes tribus. Le soleil disparait, la lune les toise de son oeil unique.
Après de nombreux conflits, le petit groupe se met en marche. Ils détruisent leurs minuscules habitats et se déplacent à travers les marais et les plaines.

II.

La route est longue, parsemée de crevasses et de rivières bien plus profondes qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Elle, qui n'avait jamais vu plus loin que les larges collines encerclant le village. Quelques voix, timides, grognent de mécontentement. Nous n'aurions pas du partir, murmurent certains avec la tombée de la nuit. La première lune, ils suivirent le lit d'un ruisseau qui se jetait dans un lac. Impossible à traverser, la moitié de ses compagnons ne savaient pas nager. Barboter, tout au plus. Et les bambins...
Alors, ils ont contourné le lac. Deux femmes avaient péris après s'être jetée dans l'eau, pour s'en remplir la panse. Cette dernière avait gardé sa couleur grise, meurtrière, comme si la pourriture couvrait ses profondeurs. A présent, ils savent à quoi s'en tenir. Cette eau là ne se boit pas, ni ne se traverse.
Le bois se raréfie, ne devient qu'arbustes et brindilles. Juste de quoi faire un petit feu autour duquel se réchauffer. Des yeux scintillent, chaque soir, derrière les fourrés. Elle les voit mais ne peut se résoudre à les chasser. Personne ne connait la morphologie exacte de ces démons là. Seules peuvent témoigner quelques empreintes bestiales, de la taille d'une tête humaine. De quoi faire frissonner l'échine des plus courageux.
Sa mère chantonne, quelques fois. Le manque de nourriture sillonne son visage mais elle tient bon. Comme eux tous. Ils quittent progressivement les abords du lac, les bêtes géantes et cette eau saumâtre. Les bois ne sont guère plus accommodant. Un homme, qui se croit le plus brave, découpe les branchages qui barrent le chemin. Son chemin, non celui de la foret. La lame de son arme est tordue, de grossière facture. Quelque chose qu'il avait volé dans une village voisin, à l'époque, plus prospère. C'était là la seule véritable arme. Bien sur, certains avaient fabriqués des massues mais rien ne promettait que la tête en pierre ne se détacherait pas de son manche au premier coup donné.

Enfin, un mince filet de fumée se discerne au delà du bois. Elle s'élève derrière la cime des arbres pour se perdre lentement dans le ciel grisâtre. Toujours plus sombre, porteur de pluie et d'orages. Certains se mettent à courir vers l'orée de la foret, pour mieux apercevoir la source de cette fumée. Présence humaine assurée, confirme l'un des éclaireurs. L'autre parle de muraille en bois qui tient par la force des bras d'un dieu quelconque. Elle a l'impression d'avoir oublié leurs noms. Alors, d'un pas hésitant, ses jambes la guident vers la dite muraille. Des rodons de bois serrés les uns aux autres par des cordages, des mélanges de boue et plantés dans le sol. Presque enracinés. Ce qui ressemble à une porte semble close. Qui peut bien vivre ainsi protégés ? Et surtout, contre qui peuvent-ils bien vouloir se protéger ? Des ours ? Des léopards ?

Un son résonne, provient de l'enceinte en s’amplifiant. Un tam-tam puissant, accompagné de sons mâts. Le martèlement de pieds sur le sol. Quelque chose se passait, à l'intérieur. Une cérémonie, peut-être.
Après avoir crié, frappé contre et gratter la muraille, ses compagnons s’assoient à même la boue. Le courage les a quitté pour laisser place au dépit. Crèveront-ils de faim ici, juste devant un village aussi intrigant?
Elle est sûre qu'on les épient. D'ou, elle ne saurait dire. De la forêt, ou d'entre les poutres ? Peut-être suffit-il d'attendre la fin de leur tintamarre pour qu'ils daignent leur accorder droit de passage. Le doute l'assaille quant à la nature, aux moeurs de cette tribu... Mais ont-ils d'autres choix?
Elle se pose aux cotés de ses braves compagnons et attend. La musique les berce doucement tandis que d'autres en profitent pour rafistoler leurs armes.


III.


IV.